LES BRAS DE L'HÔPITAL PSYCHIATRIQUE !

  Michelle a son plan. Elle y a réfléchi toute la semaine, au cours de ses longs moments où elle est couchée  sur son lit, examinant les méandres de son plafond. Elle a passé des dizaines d'heures à le ''paufiner''. Elle ira  d'abord chercher une rallonge électrique. Elle nouera une extrémité à la barre de douche et se passera l'autre autour du cou ! Puis, en une minute, ce sera fini...

  Pour l'heure, Michelle est devant un café, dans un restaurant et elle raconte tout cela à Jude Gratton, son intervenant du module de Suivi intensif dans le milieu de l'Hôpital Louis H. Lafontaine. Depuis des années, Michelle nage en solitaire dans un océan de tristesse. malgré les médicaments, elle entend souvent dans sa tête une voix de femme qui lui répète inlassablement de se tuer. Elle est fatiguée de tout...

   Et depuis sept ans qu'il vient la voir plusieurs fois par semaine , Jude a bien tenté de trouver l'étincelle qui ferait - un peu - revivre Michelle. Il a tout essayé mais rien , le néant, soupire-t-il ! C'est quoi ton plus beau souvenir, Michelle ? Elle hésite ...'' Je sais pas '' . Elle nous regarde sans rien dire ! Le reste du trajet , en auto, se fait en silence. Le nuage noir de Michelle a envahi la voiture. Jude reviendra demain...

   Jude Gratton travaille depuis huit ans au module de Suivi intensif comme 27 autres intervenants qui gèrent chacun une quinzaine de cas. Ces gens, ce sont les bras droits de l'hôpital psychiatrique. les vrais travailleurs du terrain. La maladie mentale, ils ont les deux mains dedans. Ils aident les clients dans tous les aspects de leur vie quotidienne : ménage, lavage, épicerie, budget, négociation avec l'aide sociale. Il leur arrive de déménager des clients, de faire la vaisselle. Ils donnent des cours de cuisine, manient la calculatrice à l'épicerie...Et aussi, parfois, ils vont au cinéma !

  Il y a aussi Claude Vallière qui travaille lui aussi au SIM avec une clientèle de jeunes adultes qui viennent de subir un premier épisode de psychose. L'un de ses clients, tout jeune, vivait dans le sous-sol de ses parents, dont il ne sortait pratiquement jamais. '''Acheter un paquet de cigarettes au coin de la rue, c'était devenu une aventure pour lui'' dit-il. Il l'a persuadé d'aller au cinéma. Et tranquillement, le jeune s'est quelque peu ouvert. Aujourd'hui, il vit dans un foyer de groupe et se prépare à l'appartement supervisé.

Johanne Prince, infirmière, elle aussi au SIM se rappelle en souriant comment elle a persuadé une patiente, paranoïaque, de faire une tournée de magasinage...'' Être schizophrène à l'hôpital, c'est une chose. Être schizophrène dans un grand magasin, c'est autre chose. Y a pas mal plus de monde dans la bulle '' ajoute-t-elle.

   Prochain arrêt,de Jude: Chez Franco, ou Frank pour les intimes - a ressentit les premiers symptômes de la schizophrénie à la fin de l'adolescence.  Aujourd'hui, il a 50 ans, il vit seul, dans un petit appartement.,le plancher est gris. Des linges à vaisselle brunâtres sont suspendus à des armoires encrassées. Il a un énorme tas de mégots de cigarettes sur la table du salon...

Mais tous les mercredi, depuis 10 ans, Jude vient rencontrer Franco, faire l'épicerie avec lui, lui a appris à faire du ''pâté chinois''. Franco a une ''blonde'', prend parfois des drogues, ce qui n'est pas a conseiller pour un schizophrène, il lui arrive d'aller au casino.

  Mais dans les yeux noirs de ce petit gringalet nerveux à qui la vie n'a pas fait de cadeau, il y a tout de même cette lueur joyeuse de l'homme heureux...

Fricot